Institut de l'Enfant... le CIEN à Nancy


Ouvrir au réel dans les échanges quotidiens de nos mots 


Comment les enfants vivent leurs rencontres singulières aux discours contemporains à travers leurs situations familiales, scolaires ou institutionnelles est une des perspectives de travail que se donne le laboratoire inter-disciplinaires du Cien, à Nancy. Nous laisserons passer dans la conversation entre les membres du laboratoire, ces émergences inédites surgissant entre enfants et adultes.
L'année 2022-23, a été rythmée par la préparation et la réalisation de la venue, de Myriam Chérel Nous envisageons cette année une nouvelle invitation, avec une conférence, à Metz, en janvier 2024.
Le laboratoire a continué ses rencontres, vers la préparation de la journée de l'enfant du mois de mars 2023, en commentant la lecture de différents textes préparatoires. Et nous avons amorcé le recueil de « brèves d'écoles », de « brèves familiales », ou de « brèves institutionnelles ». Nous essayons dans ce que nous racontons, ou dans ce que nous écoutons se raconter, d'entendre les petits bougés des corps, des paroles, les petites bévues, à partir desquels une surprise traverse ou surgit dans le monde du « savoir déjà-là». Un début de ce travail a été publié dans a-traits du cien n° 23. Nous aurons également à aiguiser nos vigilances, à ce qui peut traverser les nuits des enfants, rêves, cauchemars, rêveries, fantasmes... Avec quelles inventions d'inconscient sont-ils en prise dans ce qu'ils nous en racontent ? (Orientation de travail de l'institution de l'enfant pour 2024-2025).

Nous articulons de plus en plus les travaux des deux laboratoires du Cien, pour préparer nos réunions de laboratoires et les conférences, et en lien avec les activités de l'ACF. De 8 à 12 personnes : psychologues, psychologues scolaires, éducateurs spécialisés, arts thérapeutes, étudiants viennent de plus en plus régulièrement.


Responsable du laboratoire : Françoise Labridy, francoise.labridy@wanadoo.fr, 5, rue Bertrand Auerbach, 54 600 Villers-Les-Nancy, 06 79 84 05 72



Un mouvement inachevé

un texte de Françoise Labridy, 
 

La sexuation touche au corps vivant de l'enfant par le biais du langage ,                      en même temps que surgit le sujet qui s'en fera responsable.


 Vivre la sexuation, un mouvement inachevé

Laissons parler les enfants. Ils nous en apprendront bien plus que nous ne pourrions leur en dire sur la chose sexuelle, qui creuse en chaque petit d'homme, une faille et une énigme sur ce qu'est un corps vivant. Ce corps vivant qui, dans la surprise, éprouve ce qui se jaillit de lui, sans savoir ce qu'il en est. Ce qui se passe dans ce corps, ces secousses, ces saccades viennent percuter le corps parlant, Lacan a trouvé une formule pour le nommer : « un corps, ça se jouit ». C'est dans l'enfance que ça fait ébranlement ouvrant à des sensations « exquises » et douloureuses comme à des questionnements divers et multiples. Laisser parler dans l'enfant là où il est sujet en devenir, mais pas sans satisfaction et - sans qu'aucune autorité n'y fasse obstacle - fera qu'il se confrontera à un impossible à dire ; alors tentera de se nouer ce qu'il parle comme langue avec une chair en turbulence. C'est dans cet écart avec toute langue commune qu'il choisira et polira les mots de sa propre singularité de vivre. Ainsi, cet enfant si discret qui, le jour de la rentrée où se faisait la minute de silence concernant Samuel Paty, demanda à la psychologue qui le recevait si elle regardait les matchs de foot ? Ne questionnait-il pas ainsi en creux et dans le même temps, les modes de jouir des deux partenaires de la rencontre, confrontés à un monde devenu immonde ? Ce regard en s'extrayant fait sauter nos yeux de l'innommable.

Garçons et filles, filles et garçons, ont un corps qu'ils éprouvent à la fois à leurs dépens, comme à leur plus grande joie et puissance : quelque chose en eux exulte et les pousse à ceci ou cela, et dont ils ne sont pas les maîtres. Ça ex-siste pour eux d'abord, sans limites. Un couple arrive sur la pelouse de promenade. Le père a un chien en laisse, la mère porte la parka d'un enfant de 3-4 ans. Celui-ci, étourdi d'excitation, de cris et de rires, ne cesse pas de shooter dans le ballon mais en visant le chien. Il n'arrive pas à s'arrêter, il continue. Le père semble imperturbable, ne lâchant pas le chien, ni n'attrapant le ballon pour détourner l'enfant de son point d'excitation. La mère, d'une voix embarrassée : « Arrête, tu vas lui faire mal, arrête, tu es méchant. » L'enfant alors grimpe sur un muret et veut sauter pour descendre. Comment accueillir ce qui s'excite dans le corps des enfants, dès qu'ils explorent le monde qu'ils ont à habiter pour grandir ?

Comment enseignants, parents, psychologues... autres adultes, accompagnent-ils les enfants pour transformer, dériver, déplacer, border le « ne cesse pas des pulsions » par des actes et des paroles singulières qui en orienteront la visée et les perspectives ? Comment, dans chaque situation de vie, interviendra le pouvoir de nomination de la langue, pour faire frontière entre l'infini potentiel des pulsions et le fini d'une limite qui dira, ceci oui, et cela non, les filles c'est ceci, les garçons c'est cela, en introduisant le binaire de la langue qui ne peut que continuer à polariser les discours, puisqu'il en est ainsi de la structure signifiante ?

Françoise Labridy,   septembre 2020