Inter -Cartel  PINA  texte de Françoise Labridy

19/10/2023

QUAND L'OBSTACLE DEVIENT INVENTIONS A PLUSIEURS,  ou bien

Y ALLER À PLUSIEURS AVEC LE GOÛT DU UN PAR UN 

Je vous parle d'un « drôle de cartel hors-norme » déclaré à la fin du covid, en 2019 qui s'est déroulé en zoom, en pointillé au début, avec quatre collègues de Bretagne, j'en étais le plus 1, seule à Nancy.

Ce cartel nous a fait travailler sur le « théâtre dansé » de Pina Bausch par la lecture de ses œuvres et des textes écrits par d'autres, et la perspective de Lacan sur l'art : « l'artiste toujours nous précède… », et nous avons à apprendre de ce que chaque artiste amène de singulier à la culture de son temps. Pourrait-on dire que Pina Bausch et Lacan ont fait avec le réel particulier qui les concernait dans leurs pratiques ? Elle en a fait une oeuvre singulière dans la danse contemporaine : le théâtre dansé. Il a orienté les « parlêtres » dans la psychanalyse à se dépouiller du sens, pour se confronter à un réel sans loi, brisure irréductible de la relation de cause à effet, au profit d'une jouissance de corps singulière, intraitable et irréductible.

Les sujets de travail de chaque membres touchaient à la création et à la transmiss.

Deux phrases ont fait bordure à nos recherches, l'une de Pina : « Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus. » L'autre de Lacan, repéré par un des membres du cartel : « Il y a quelque chose dont on est tout à fait surpris que ça ne serve pas plus le corps comme tel – c'est la danse. Ça permettrait d'écrire autrement un peu différemment le terme de condansation. » L'avoir un corps est du côté de l'ex-sistence, et le dire, du côté de l'être, toujours précédé de cette réponse d'existence du corps. Le corps palpite, ça s'éprouve à partir de la jouissance que l'on en a. « Ça se sent, une fois senti, ça se démontre. »

Notre cartel avait également une autre perspective de réalisation : faire intervenir à Dol de Bretagne, une ancienne danseuse de Pina, Christiana Morganti, auprès du public et avec des adolescents des lycées de la ville

UN MAXIMUM DE CONTINGENCES, OBLIGERA À MODIFIER CES PERSPECTIVES

Des rencontres espacées, par les péripéties du covid au début. Je dépends très tôt de l'outil technologique et de ses mises en route difficile. Paradoxalement nos rencontres virtuelles sont intenses, toniques. Le lien se construit et se maintient malgré l'impossibilité de faire venir Christiana Morganti

Cette formule de Pina « dansez, dansez, sinon nous sommes perdus », nous l'incarnons à travers ce cartel, la faisons vivre, malgré les interruptions, à partir de nos échanges de lecture. Cette solitude éprouvée à distance, tient à travers les échanges mouvementés de nos séances virtuelles. Nous décidons de nous revoir en présence en juin 2022, pour voir la pièce Barbe-bleue à Paris. Or la pièce est annulée, toute la troupe a le covid. La séance de cartel en présence ne se fait pas. Je dénoue ma participation au cartel, laissant chacun décider de la suite. Je propose de venir participer à la présentation finale en mars 2023. Les quatre membres recréent un autre cartel avec un nouveau + Un et rencontre une compagnie de danse Indiscernable.

UN CARTEL QUI SE TERMINE EN S'OUVRANT DANS UN AUTRE.

La fin du premier cartel outrepassera son terme dans le début du deuxième cartel à Dol de Bretagne, par une présentation croisée des réalisations dansées et filmées de la compagne Indiscernable et des prestations des jeunes lycéens, préparées et filmées, par leurs enseignants, en mars 2023.

CRÉATION-TRANSMISSION-PRODUCTION

1- Une matinée avec 150 lycéens dans la salle, attentifs, intéressés. Découverte du film, en grand écran, avec 4 danseuses dans un lieu mégalithique chargée d'histoire, dans une nature sauvage, escarpée, froide, des conditions de mouvements et de tournage difficiles, des corps de souffrance et de beauté mêlées, une musique composée dans l'après-coup des mises en mouvements. Beaucoup de questions fusent, sur les images, pourquoi seulement des femmes, sur les mouvements, les différences de plan, les prises de vue...une conversation s'engage avec les membres de la compagnie

Les prestations des lycéens relèvent d'inspirations variées, de musiques, de chansons, d'œuvres littéraires évoquant ce qui les concerne, pour d'autres ce sera à travers les gestuelles des métiers agricoles qu'ils ont choisi     
Le dernier groupe a travaillé sur une pièce de Pina : Nelken. A notre demande quelques jeunes descendent, échangent des regards avec la salle, les adultes se lèvent, enhardie, une jeune fille s'avance seule, et dans l'élan de ses camarades, commence à apprendre aux autres cette « Nelken ligne » de Pina qui a fait le tour du monde. La danseuse et la chorégraphe d'Indiscernable se joignent à l'élan qui propage le mouvement aux autres lycéens de la salle

Le « souffle de Pina » qui a soutenu ce travail est là et se transmet à nouveau, des gestes simples, sortis du quotidien, prolongés en liens de corps à la fois doux, tendres et terribles. Ce qui émeut, meut. L'émouvoir crée le mouvoir. Quand il n'y a plus de paroles, vient la danse... « Ça ne doit pas être beau au sens de ce qui n'a pas de défaut. » Il y a la fêlure d'où jaillit la geste irréductible d'un mouvement vivant de chacun dans sa différence absolu


2- 4 textes ont été écrits par les membres du cartel à partir de leurs sujets de travail. Celui d'Isabelle Fauvel : Pina, danser la résonance, vient d'être publié, dans la revue Quarto.